Ça y est, c'est le grand jour ! Dimanche, jour du seigneur, mais surtout jour où les familles turques viennent en masse prendre le petit déjeuner au Hobbit Café. Petit rappel, Sinem qui fait l'essentiel du travail au café, est en visite dans sa famille cette semaine, et compte sur nous pour tenir la baraque en son absence. Après une semaine avec quelques tables servies tous seuls comme des grands pour se chauffer, on a des réservations pour 20 personnes ce matin, et certaines dès 10h, il faut donc s'activer tôt. Et d'autres client.es vont sûrement venir en plus, les deux étages du café sont ouverts, ça va barder. Pour y faire face, un équipe de choc. D'abord, l'indispensable super mamie Farie aux fourneaux : cuisson des œufs et des pisi, les beignets turcs. C'est une dame du village qui vient donner un coup de main à Sinem tous les weekends. Ensuite, les hommes à tout faire : Fred et Antoine au service – que des aces – , nettoyage, cuisson des crêpes, confection des cookies, préparation des petits plats (confiture, fromage, tahini..), entretien du feu, préparation du thé.. Et enfin Murat, un espèce de Gaston Lagaffe version turque, qui annonce des tables fantômes ou des nombres de gens assez aléatoires, dit aux client.es de se faire leur café tout.es seul.es, oublie du pain sur le feu (l'auteur de ces lignes plaide coupable pour avoir aussi oublié une fois dans la matinée, un peu de fumée mais ça vaaa), et aime bien répéter de manière assez agréable des instructions trois fois alors qu'on est un peu débordés et que lui ne met pas trop la main à la pâte.. Comme il dit, il s'occupe de la partie « utopia » du projet, et c'est normalement Sinem qui s'occupe de la partie « dystopia » - ramener les sous grâce au café. Bref, il vit un peu dans les nuages. Mais bon, on est bien obligé de se reposer sur sa maîtrise de la langue turque, la nôtre n'étant pas suffisante (litote) pour se débrouiller tous seuls (certain.es client.es parlent anglais, surtout les enfants, c'est toujours marrant de s'adresser à un.e petit.e de 7 ans pour savoir ce que veulent ses parents. Quand les adultes le parlent, iels aiment bien entendre notre histoire de voyage, et comment on a atterri ici à leur servir le petit déjeuner). Les tables s’enchaînent quand même sans problème – le plus dur c'est finalement de n'oublier aucun des vingt petits plats à servir à chaque table.

Les gens sont plutôt contents, mais on n'a pas vraiment le temps de faire des pauses, il y a toujours un truc à faire, mettre une tiote buchette dans les poêles, aller voir si personne n'a besoin de rien... Les crêpes, petit extra so french ajouté par nos soins, font toujours leur petit effet, un client va même jusqu'à dire qu'il se sent aux Champs-Élysées ! (bon, la dernière fois que j'y suis passé, c'est pas d'une crêpière que s'élevait de la fumée...) Super Mamie dépote aussi à la vaisselle, et même si elle ne parle pas un mot d'anglais, on communique avec elle plus efficacement qu'avec Murat. En plus elle a le temps de préparer son délicieux « Batlican Baligi », littéralement « poisson d'aubergine », une sorte de pizza/clafouti salé à l'aubergine et à la tomate, très très bon. On observe minutieusement comment elle le fait, pour pouvoir reproduire ce miracle digne de Shelley, créer un poisson avec de la farine, du fromage et de l'aubergine. Vers 14h, il y a un petit creux entre les client.es du matin qui ont fini leurs petits déjeuners, et celleux qui vont venir manger ou prendre un thé l'après midi. Ça tombe bien parce qu'on a un petit creux dans le bide nous aussi (quand il y a peu de tables, on a le temps de finir les restes, toujours assez abondants vu le nombre de plats, mais là on passe tout de suite à la table d'après sans interruption). On englouti donc deux parts de ce poisson végétarien, au soleil dehors, et puis comme prévu des nouvelles tablées arrivent. On se remet au travail, pour leur servir des thés, des mantis, les raviolis turcs à napper de crème et de beurre au piment (préparés à l'avance et surgelés), et aussi le poisson d'aubergine, qui malheureusement pour notre repas du soir est entièrement avalé... Et après quelques longues séances de vaisselle, l'examen est réussi, Fred et Antoine peuvent tenir un resto ! D'ailleurs Murat est ravi, on a le droit à une bière offerte en récompense de notre travail. Il nous dit qu'on devrait rester ici, ou alors ouvrir un « hobbit café » tous ensemble en France, où il est certain que les « Turkish breakfasts » auraient un succès fou. Par contre il est encore plus fauché que nous... alors à vot' bon cœur messieurs dames si vous voulez financer le projet !