Pour cause de coronavirus et de frontières fermées, nos rêves de Caucase et de dérive lente mais continue vers l'Orient se sont envolés – au moins pour le moment. On s'est donc décidés à rebrousser chemin vers le sud-ouest turc, au climat plus clément que la Cappadoce enneigée, et où nous avons trouvé un endroit reculé d'où laisser passer ces jours sombres en étant confinés au grand air et au soleil. C'est donc un nouveau workaway qui commence aujourd'hui chez Deborah et Tahib, dont nous savons peu de choses à part qu'elle est anglaise, lui turc, et que leur terrain est assez dur à trouver, perdu dans les montagnes au nord-ouest de Fethiye. On quitte la nationale qui longe la Méditerranée pour des routes sinueuses qui montent en lacets, à peine assez larges pour notre fier trafic. Tout au bout du chemin, quand la route ne peut plus monter, et ben...on est arrivés. L'accueil est assez étrange. D'un côté, cinq gros chiens nous aboient dessus, et les trois plus jeunes cherchent assez vite à établir le contact en nous sautant dessus pour qu'on les câline. De l'autre, Deborah et Tahib, bien qu'ayant l'air assez sympathiques, gardent leurs distances et nous parlent d'assez loin : iels (enfin, surtout elle) ont un peu peur qu'on leur ramène ce fameux virus dans nos bagages. On en vient donc assez vite à discuter de comment faire pour ne pas risquer de les contaminer, notamment en n'utilisant par leur cuisine, en rentrant par une autre porte dans leur salle de bain, en mangeant à des tables séparées sur la terrasse... Mais nos chambres, situées dans une petite cabane en bois toute simple au dessus de leur maison, n'ont même pas d'eau, et le problème semble insoluble quand Fred veut remplir sa bouteille d'eau sans toucher le robinet... Heureusement pour tout le monde, une solution très satisfaisante s'impose : au lieu de la petite cabane en bois, nous allons habiter dans leur maison pour invités, située juste en dessous. C'est un petit bijou : un chalet tout en bois de cèdre, dont l'odeur emplit l'intérieur, avec une grande baie vitrée qui donne sur la vallée. La vue est magique : quelques oliviers juste sous la terrasse en surplomb du jardin, puis les pentes de la vallée, rocheuses et ocres sur les crêtes proches, puis vertes et couvertes de pins, descendant doucement jusqu'au bleu de la mer, fermée à gauche par la baie de Fethiye, dominée par le mont Baba au sommet duquel on distingue encore de la neige.. Au centre, un chapelet d'îles qui semblent minuscules vues d'ici, elles aussi couvertes de pins. A l’étage du chalet, accessible par une petite échelle, un petit bureau d'où sont écrites ces lignes. On prend donc possession de nos somptueux appartements, puis Tahib nous emmène faire un tour dans le jardin.

On passe d'abord en revue les habitants non-humains des lieux : cinq gros chiens donc, dont les trois foufous Karaburun (en turc : museau noir), Yoldash (« camarade » : c'est un chien communiste), et Mimi (ben rien, juste Mimi), mais aussi onze chats, une douzaine de coqs et poules, trois poussins nés la semaine dernière, et enfin neufs paons qui aiment faire la roue et pousser des cris stridents..sacré basse-cour ! Le jardin en lui même s'étend, en pente, au dessus et en dessous de la maison. C'est une propriété qui vient de la mère de Tahib, sa famille est là depuis des siècles. Il a repris le flambeau il y a une dizaine d'années, et iels se sont définitivement installé.es ici avec Deborah il y a cinq ans. Tahib, tout en douceur, adore planter, et l'aspect est assez sauvage. Au dessus de la maison, il a planté surtout des oliviers, mais aussi plein d'espèces de sauge, d'origan, des fleurs, dont des marguerites qui sont en fleurs ces jours-ci, et des coquelicots qui ne vont pas tarder. Plus bas, ce sont des figuiers, des arbres à mûres, dont il a des centaines d'espèces différentes. Certaines viennent d'aussi loin que de Thaïlande ou d'Australie. Et toujours cette vue de la mer, au delà des fleurs et des arbres qui bourgeonnent..on est assez ravis de notre retraite forcée. Au milieu de ce jardin, il a construit lui-même, avec l'aide de volontaires comme nous, leur propre maison, et trois chalets en bois comme celui que nous squattons. Leur idée est de les louer, plutôt sur quelques mois à des gens à la recherche de tranquillité pour écrire, créer...bel endroit pour une retraite artistique. Mais nous sommes plutôt là pour du concret, et notre première mission va être de construire un nouveau poulailler pour la famille poule qui s'est récemment agrandie, sans compter que le rusé goupil traîne dans les parages et a becqueté deux volatils le mois dernier. Après avoir discuté de tout ça autour d'un thé à des tables séparées des deux mètres réglementaires, Deborah nous amène des provisions pour le dîner, qu'on prendra en solitaire(s) dans notre chalet suisse. Bon courage à tout.es celleux confiné.es dans de petits appartements !